7 Jehannes en territoire d’exil — Chemin des Jonquilles

La lune pleine peinait à se faire une place au milieu d’un voile céleste épais et aussi sombre que l’antre du diable. Les quelques vitres encore entières de la friche industrielle n’en renvoyait qu’un reflet pâle qui ajoutait au sinistre de la scène. L’odeur d’humidité, mélange peu ragoutant d’effluves d’un jour de pluie, de gaz venus de la grande route et de poubelles abandonnées ici terminait le tableau. Et pas un lampadaire pour éclairer ce qui semblait être l’ancienne aire de retournement du lieu.

La ville de Saran a eu une histoire industrielle riche, bâti sur une nature soumise aux désirs politiques. Aujourd’hui, passée la crise des années 80, ce sont des coccinelles de béton qui veillent à ce que personne n’entre jamais dans l’ancienne usine.
Devant les insectes géants gris, trois voitures font un demi-tour avant de stationner, prêt à partir. Une dizaine d’ombres en sort et traverse la cour pour aller vers le bâtiment. L’endroit abrite des colonies de lapins, des chouettes et toute une faune considérable, certes, cela est moins visible à ce moment de l’année, mais le moindre bruit éveille une peur primitive. Par ailleurs, cette friche est connue pour servir de repaire aux marginaux le temps d’une nuit ou deux.

Silencieuse est cette nuit de novembre, pour ne rien en déranger, la troupe des types portant cagoule use de mille précautions en longeant le mur.
« Chut ! Fit le premier de cordée, il y a de la lumière dans le bureau, regardez ! »
Par la vitre cassée se donnait à voir le spectacle d’un groupe d’une demie douzaine de personnes assises au sol, en demi-cercle devant un vélo-cargo. Filles ou garçons, il aurait fallu faire tomber les capuches des sweats pour le savoir.
« Ils écoutent de la musique, dit un autre, on dirait une messe ».
Et dans cette nuit froide et noire, les premières notes du Requiem de Verdi se firent entendre :

Dies iræ, dies illa,
Solvet sæclum in favilla,
Teste David cum Sibylla !

« Nos renseignements sont bons, c’est ici que la vermine se rassemble. Dans cinq minutes, elles n’auront plus goût à chanter leur messe à la con. Vous y êtes les gars »

Quantus tremor est futurus,
quando judex est venturus…

La dizaine d’homme fit sauter sans mal la porte et se mit à crier en pénétrant les lieux. Ils prirent position de part et d’autre du groupe assis.
Interdit dans un premier temps, transis par la surprise et la violence des cris, le groupe assis se releva prestement et fit face à ceux qu’ils identifièrent assez rapidement comme des militants du MIB — le Mouvement Identitaire Beauceron — à cause de l’accoutrement de ces derniers. Les cheveux ras, les oreilles en choux fleurs, un costume et des bottes de cuir noir constituait la panoplie de rigueur pour ceux qui passaient pour être les exécuteurs des basses œuvres au service de quelques politiciens locaux.

La musique était déjà coupée, la lampe éteinte, les BMX quasiment enfourchés quand le chef des bas du front cria :
« Qui êtes vous et que faites vous ici ?
— Nous n’avons pas à vous répond…
— Vous n’êtes pas des vélfems ou ces tapettes de vélhoms ?
— Non !
— Et que diable étiez-vous en train de faire ici, avec cette lampe et cette musique de mort ?
— Nous gênons personnes.
— Je répète ma questi…
— Rhoo ça va ! Nous faisions une cérémonie du souvenir pour l’ensemble des animaux morts dans l’année, dit une punkette du fond de la salle, son chat sur l’épaule. Nous ne faisons de mal à personne. Le mois mort l’est aussi pour nos frères et sœurs les animaux.
— Laisse tomber, dit un jeune, les mains sur le guidon, on se tire. Ils vont nous faire chier.
— Pété de rire. Des punks à chat qui font avec des véganiens une cérémonie du souvenir pour les pauvres petites bêtes mortes dans le monde. C’est mignon. Non mais, sans déconner les gamins, vous êtes à Saran, ici. Demandez à vos amis cocos ce qu’ils en pensent de l’écologie. Ils vous ramassent les bêtes écrasées mortes sur la route pour que vous les enterriez aussi. D’ailleurs, elle le sait Marivenka que vous faites des messes dans son dos. Vous avez vu les gars, maintenant il faut pleurer les pauvres petits animaux. Pour moi vous ne valez pas mieux que les vélfems, et comme le dit le sage, faute de grives, on mange des merles. Voici l’essence pour faire rôtir la saloperie.
— Il dit aussi que d’une grive comme d’une dinde on en tire quatre morceaux. Pour ma pomme, je ne vois qu’une bande de dindon ».
La punkette jeta un grand coup de pied dans un tabouret qui en tombant, renversa le bidon d’essence. Ce fut le signal du départ pour la bande. Les encagoulés se lancèrent à leur poursuite, mais ils n’étaient pas des plus fins.

Très rapidement avec leur BMX, la bande fuit en sachant que au bout du chemin, ce serait très facile dans Saran d’aller dans toutes les directions pour semer les poursuivants. Ils eurent un peu peur au début d’un des agresseurs qui était resté en retrait pour surveiller les abords de l’usine, mais quand ils le virent se prendre les pieds dans les racines et s’affaler, ils comprirent qu’ils s’en sortiraient. Heureusement que la mairie de Saran n’était jamais intervenue dans l’entretien de ce chemin. Deux autres cagoulés tombèrent dans le bassin de rétention d’eau.
Brice et Mélanie suivirent du chemin des jonquilles, la rue de la Montjoie, puis l’ancienne route nationale pour finir au plus vite sur la piste de Montaran, protégée des voitures et cachée derrière les hangars de la zone. La piste passait pour être très très peu fréquentée. Il faut dire que cachée derrière le cinéma industriel, hangar lui-même desservi par une autoroute urbaine, cette discrétion ce soir-ci était un avantage pour les deux amis des animaux. Ils se firent une grosse frayeur quand ils crurent voir venir sur eux une voiture, mais non. Ils profitèrent de l’anonymat et de l’isolement du lieu, pour faire une pause, protégés par l’obscurité.
« D’où viennent ces types ?
— T’as pas écouté la radio ce soir ? Les vélfems ont fichu la pagaille pendant la conférence du maire sur la découverte du vélo de Cel.
— Et c’est pour ça qu’ils nous attaquent ? C’est pas la première fois qu’on fait une cérémonie du souvenir, non. Enfin, on peut dire un grand merci à la mairie de n’avoir jamais entretenu les pistes. J’ai eu un peu la trouille quand le gorille nous a coursés. En même temps ce qui l’a fait tombé m’a niqué le disque du frein de devant. Je passerai voir à la boutique de Jerry ce qu’il y a faire ».
Sur l’écran de son portable, Brice découvre le message suivant « c’est oké pour Étienne et moi. On se voit demain ». Il textotte une réponse rapide et dit à Mélanie.
« Passe la première, je te suis avec le cargo, la montée sous la tangentielle n’est pas facile pour moi. Si tu vois ces connards, fuis ! Sinon, tu peux passer la nuit chez ma mère. Revenir dans le quartier de l’autre côté est dangereux ».
La jeune fille monta sur son BMX, passa le pont et siffla une fois le trottoir sauté, pour dire que la voie est libre.
« Tu as les adresses des vélfems pour les prévenir, et celles des becanarchistes, et celle des vélibertaires ?
— T’inquiètes, j’ai tout ça dans mon pécé chez ma mère. Je fais un courriel dès qu’on arrive, et aussi pour les associations.
— C’est incroyable qu’il y ait autant de groupes différents pour défendre les idées si simples de la bicyclette ».

C’est l’usage de la nuit d’envelopper de quiétude le quartier de Montaran, maintenant Brice et Mélanie pouvaient rentrer saufs se mettre au chaud.
Au loin, au milieu des lueurs de la cité grande, après une journée riche en événements, les sirènes des voitures de police fendaient les eaux tombées de cieux qui semblaient pleurer les destinées humaines.

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[…] Le NaNoWriMo (Mois (inter)National de l’Écriture de Romans) est une façon amusante et stimulante de concevoir l’écriture de romans. Les participants commencent à écrire le 1er novembre. Le but est d’écrire un roman de 175 pages (50 000 mots*, soit 1666 mots/jour) avant minuit le 30 novembre.

Mettant en avant l’enthousiasme et la persévérance plutôt qu’un travail méticuleux et soigné, le NaNoWriMo est un programme d’écriture pour tous ceux qui ont un jour pensé écrire un roman mais ont été effrayés par le temps et les efforts que cela demandait. […]

Encore une fois, l’engagement est pris « pour soi-même », il n’y pas d’obligation de publier, d’exposer, slammer, chanter, rapper son NaNo.


*mon objectif est 30 000 mots, soit 1 000 mots/jour.

3 commentaires

  1. Comme le dit Mélanie « C’est incroyable qu’il y ait autant de groupes différents pour défendre les idées si simples de la bicyclette ».

    Bientôt l’explication de cette diversité (mercredi sauf erreur de ma pomme).

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